mercredi 31 juillet 2013

Les origines du F-BPPA

Je vous propose dans cet article de plonger au cœur des tractations entre les partenaires d'Airbus pour mieux comprendre comment la décision d'acheter le Super-Guppy numéro 2, le F-BPPA s'est imposée au Gie (Groupement d’intérêt économique).

Le F-BPPA en vol


Après la mise en service du Super-Guppy n°1, le F-BTGV, en 1972, Airbus n'envisage pas d'acheter d'autre appareil. Il existe alors aux Etats-Unis deux Guppy : le Super Guppy modèle NASA (N1038V) et un nouveau Super-Guppy Turbine alors en construction (N212AS) identique au Golf Victor.



Pourtant, Airbus voit une augmentation de cadence se profiler à l'horizon, et estime que la cadence de production de l'A300 devra atteindre…4 avions par mois. Hors il faut 45 heures de vol du F-BTGV pour produire un avion…soit 180 heures de vol par mois rien que pour Airbus. Il faut en outre assurer des vols pour le programme Concorde…et transporter des éléments du Mercure pour Dassault. Le F-BTGV ne pourra pas suffire éternellement en cas d'augmentation des cadences de livraison.

La cheville ouvrière d'Airbus, le Golf Victor

De plus, en cas d'incident qui immobilise le Guppy plus de trois semaines, la production Airbus s'arrête et un mois entier de production est perdu : le Guppy est donc bien un élément si ce n'est l'élément le plus critique du programme.

Pour éviter de bloquer toute la chaîne, Airbus avait négocié lors de l'achat du F-BTGV une clause dite "contrat backup" (réserve). En effet, l'accord de vente du F-BTGV du 31 mars 1970 prévoit que si l'appareil est immobilisé ou endommagé, ASI devra mettre à la disposition d'Airbus un backup, à savoir un avion de réserve identique ou équivalent. Le seul avion disponible à l'époque était le N1038V, le Super-Guppy de la NASA, ou le N212AS, deuxième Guppy Turbine dont la construction avait été lancé en 1968, mais constamment retardé, faute de crédits.

La chaîne de montage des A300...approvisionnée par le Guppy

En réalité ce contrat backup n'était valable que si ASI restait propriétaire de l'appareil. L'idée d'Aero Spacelines étant de louer le N212AS aux sociétés aéronautiques pour leur besoin respectifs. Malheureusement, la demande n'avait pas suivie l'offre, et ASI, déjà en position précaire, était au bord de la faillite dès 1971.

En avril 1972, Le directeur d'ASI, William C. Lawrence, se rend à Toulouse pour rencontrer les membres du directoire Airbus. Au cours de cette visite, il fait une proposition concernant l'achat du N212AS, Guppy identique au premier, pour un prix total de 8 556 400 dollars et une date de livraison 21 mois après la commande ferme.

Lawrence ajoute que cette offre est aussi motivée par le désir de la société mère d'ASI (la Twin Fair à l'époque) de solder tous les actifs d'ASI, le N212AS n'ayant pas trouver preneur aux Etats-Unis, il tente ainsi de le vendre à Airbus, dont il connait le besoin critique de transport.

Même si Airbus en est conscient du besoin, l'investissement est lourd : le F-BTGV a déjà coûté 7 467 000 dollars en 1971, et Airbus cherche à éviter toute dépense inutile d'autant que le démarrage du programme A300 est laborieux. Pourtant les évènements vont se précipiter et mener à l'achat d'un deuxième appareil : le F-BPPA.

Le résultat de l'étude de 1972 sur les temps d'utilisation du Guppy

Une étude interne d'Aérospatiale Toulouse réalisée en juin 1972, montrait que dès 1974, le F-BTGV risquait de ne plus pouvoir faire face à l'augmentation des cadences entre les trois programmes Airbus, Mercure et Concorde…alors que ce même appareil suffirait à faire tourner la chaîne Airbus seule. L'étude montrait également que à partir de 1977, il faudrait pas loin de 2700 heures de vol annuelles de Guppy, représentant deux avions à temps plein, le Guppy étant limité à environ 1400 à 1500 heures de vol annuelles.

Résultats de l'étude avec des hypothèses plus large (on notera une cadence de 1,8 concorde par mois, contre 1,3 pour Airbus...et 2,2 pour le Mercure !)


Dans ces conditions, Airbus, qui avait déjà entièrement financé l'avion n°1, refusait d'acheter seul un deuxième appareil : pourquoi payer pour les autres programmes ? En fait ce n'est pas Airbus, mais l'Aérospatiale qui en avait le plus besoin. Cependant, Félix Kracht qui voit loin comprend que cette offre d'un second appareil, même si elle est onéreuse, représente une garantie pour l'avenir d'Airbus. Il va donc militer pour un financement conjoint Airbus/Aérospatiale/UTA et entamer des négociations commerciales pour l'achat du Guppy 201 numéro 2.

Calendrier proposé par ASI en avril 1972 pour la réalisation de trois Guppy supplémentaires...la réalité sera bien différente !


C'est une fois de plus la Compagnie Générale d'Aéromaritime sous l'impulsion de Pierre Jorelle qui va devoir négocier l'affaire avec Aero Spacelines. Pierre Jorelle, déjà très impliqué dans l'achat du F-BTGV, et qui connait bien les gens de Santa Barbara a la position idéale pour ce rôle.

Pourtant Airbus traîne des pieds…et l'Aérospatiale aussi. L'été 72 se passe sans qu'aucune décision ne soit prise. Hors la proposition de Lawrence expire le 1er septembre 1972, le prix annoncé ne pouvant pas être garanti au-delà de cette date.

Pierre Jorelle parvient à convaincre les dirigeants d'Aérospatiale de ne pas laisser passer cette occasion et propose à ASI d'étendre son offre jusqu'au 20 septembre 1972, ce qui permet ainsi aux industriels de signer une lettre d'intention d'achat. Le seule petit hic, c'est que la lettre a été faite par l'Aérospatiale et non par Airbus…et l'Aérospatiale n'a pas vraiment les moyens de payer l'appareil, il lui faut donc trouver un financement solide…

Les évènements vont alors forcer la main d'Airbus pour acheter cet appareil.

Henri Ziegler, président du directoire d'Airbus, qui doit prendre une décision sur l'achat ou non du Guppy

En effet, la situation financière d'ASI et le manque d'intérêt pour le Super-Guppy N212AS vont obliger la Twin Fair à mettre l'appareil en vente. Or si la vente se réalise, cela met en péril le contrat back-up signé en 1970.

Une lettre envoyée par Pierre Jorelle et reçue par Roger Béteille le 24 octobre 1972 alerte Airbus sur le risque d'annulation du contrat backup  "Il n'est pas évident qu'en cas de vente il soit tenu compte, par le vendeur, et par l'acheteur de l'obligation de vous fournir un back-up. Nous ne saurions trop vous recommander de vous assurer de la propriété de ce deuxième appareil, d'autant plus que la NASA s'intéresse vivement à cet avion".

Un petit avertissement de la DMA


Le 10 novembre, Aérospatiale reçoit un "bulletin particulier de renseignement", de la part de la DMA (ancêtre de la DGA). Ce bulletin est un renseignement obtenu par l'attaché militaire français au Pentagone : le Guppy N212AS risque d'être classé "transport stratégique" sur demande de la NASA, et tout déplacement hors des Etats-Unis devra être accepté par le Pentagone…en clair, si Airbus a besoin du backup, il leur faudra la coopération des militaires américains. Protectionniste comme ils sont, il est presque certains que la demande sera refusée. La NASA possède du même coup un droit de préemption à l'achat, qui risque de faire échouer la vente en Europe de ce Guppy numéro 2.

L'autre Super Guppy, celui de la NASA, le N1038V


La question de l'achat de l'appareil se pose de nouveau au comité de surveillance d'Airbus…à la grande satisfaction de l'Aérospatiale ! 1973 arrive, et la SNIAS (Aérospatiale) est toujours en négociation avec ASI pour l'achat (et surtout le financement) de l'avion.

Aux États-Unis, la NASA est en proie à de nombreuses difficultés : ses budgets ont été amputés par la fin de la course à la lune, et la navette spatiale ne demande pas autant de transport par guppy. Elle se contente donc du N1038V qu'elle connait très bien, mais se désintéresse du N212AS. C'est une aubaine pour la SNIAS et Airbus.

Le comité de surveillance d'Airbus se réunit à Madrid le 5 mai 1973. Au cours de la réunion, la question du Guppy n°2 est évoquée : le Dr Strauss estime que son achat est inévitable devant la menace qu'ASI ne fasse faillite. De son côté, le Dr Werner Knieper (responsable VFW-Fokker pour Deutsch Airbus) estime l'argument fondé mais l'investissement trop lourd pour Airbus (bien que la SNIAS ait réussi à faire baisser le coût de l'appareil de près d'1 million de dollars, le ramenant à 7,5 millions de dollars entre temps). Henri Ziegler (représentant la SNIAS) rappelle qu'il n'y a plus de sécurité concernant le contrat backup, et que l'achat de l'appareil est l'option la plus sûr.

Finalement, le comité de surveillance décide à l'unanimité d'acheter l'avion, en reprenant au compte d'Airbus les négociations entamées par la SNIAS. Le contrat d'achat est signé le 23 mai 1973 entre Airbus et ASI. Il prévoit
  • La vente du N212AS pour la somme de 7 556 400 dollars
  • Un choix de pièces de rechange parmi les stocks d'ASI à hauteur de 500 000 dollars
  • En cas d'accident de l'un ou l'autre des Guppy, ASI aura 45 jours pour proposer la fabrication d'un nouvel appareil identique. Si ASI ne le pouvait pas, Airbus aurait alors le droit de fabriquer un Super-Guppy pour son propre usage en remplacement (point important, nous y reviendrons) moyennant un droit de licence de 1,5 millions de dollars.
  • ASI s'engage à ne pas vendre ou détruire les outillages de fabrication du Super-Guppy sans d'abord proposer à Airbus de les racheter.
Chargement d'un tronçon de nuit sur le F-BTGV

Le contrat s'accompagne également d'un versement par Airbus d'un acompte de 10% du prix d'achat, soit  755 640 dollars.

C'est alors Maurice de Charnacé, directeur de production qui va devoir s'attaquer au double problème : réceptionner un deuxième Guppy et obtenir l'autorisation de l'importer en France. Du N212AS au F-BPPA, il y a encore toute une aventure.

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