mardi 20 septembre 2011

L'histoire des Guppies (9)

Neuvième partie : Du Guppy au Beluga

La flotte d'Airbus comprenait Quatre Super-Guppy en 1983...et ils ne s'ennuyaient pas : il fallait presque 50 heures de vol en Guppy pour acheminer les éléments d'un Airbus jusqu'à Toulouse pour assemblage ! L'augmentation des cadences liées au succès de l'Airbus se traduisait par un rythme soutenu des vols de Super-Guppy !

La flotte presque au complet...il manque le GDSG !


En 1987, avec le lancement du programme A330/A340, de nouveaux problèmes apparaissaient : le poids des éléments à transporter approchait la masse maximale transportable par Guppy...ainsi que la taille maximale de la soute ! On approchait de la limite du Guppy, et il faudra même augmenter les tolérances de centrage vertical afin de pouvoir accueillir les tronçons d'A340. De même, le poids de la voilure du nouvel appareil était tel que le Guppy ne pouvait transporter qu'une seule aile à la fois : il faudrait donc deux allers-retours (et de nombreuses escales techniques) en Angleterre pour aller chercher une voilure complète ! Même le trajet Saint-Nazaire/Toulouse pour la section centrale allait nécessiter un arrêt intermédiaire à Bordeaux par temps chauds...

Caisson central d'A330/A340 : il fallait couper une partie des cadres arrière pour pouvoir faire tenir le tronçon dans le ventre du Guppy (et à cause de la largeur à l'emplanture des ailes, il n'était pas possible de le faire rentrer plus bas !)


En 1988, Airbus commença à envisager avec UTA la possibilité de construire un Guppy n°5 et peut-être même n°6, conscient que le système de quatre appareils ne tiendrait pas indéfiniment. Airbus souhaitait une estimation, en prenant la même organisation que pour l'assemblage des Guppy 3 et 4, du coût de fabrication d'un Guppy supplémentaire (n°5) ou de deux (n°5 et 6) ou alors d'un Guppy et fourniture d'un jeu d'ailes + nacelles moteurs de rechange en cas de besoin de remplacement sur un Guppy de la flotte, sans oublier les pièces de rechange pour assurer l'exploitation des Guppies jusqu'en 2010 !

Le problème était simple : UTA possédait un Boeing C-97 et des pièces de Stratocruiser, et pouvait donc fabriquer un Guppy n°5, mais il n'y avait plus aucune pièce pour faire un Guppy n°6, il faudrait les fabriquer à partir des plans d'origine de Boeing...quarante ans après la sortie du dernier Stratocruiser ! Le planning prévoyait une décision en juillet 1989, avec livraison du premier appareil mi-92.

Un état complet de la flotte fait en 1990 avait révélé d'importants problèmes de corrosion et de criques sur l'ensemble des appareils, notamment au niveau des ailes et des cadres de structure aux jonctions entre les pièces du C-97 et les extensions du Guppy.

L'état des appareils au 1er mars 1990 était le suivant :
  • F-BTGV : 16160 heures de vol (5550 comme C-97 et 10610 comme Guppy)
  • F-BPPA : 14240  heures de vol (4520 comme C-97 et 9720 comme Guppy)
  • F-GDSG : 13610 heures de vol (9290 comme C-97 et 4320 comme Guppy)
  • F-GEAI : 11950 heures de vol (8090 comme C-97 et 3860 comme Guppy)
La flotte demandait des soins constants de la part des équipes d'UTA. Les  pièces détachées devenant de plus en plus rares, la situation risquait de devenir critique dans les années à venir si rien n'était fait. Partant de ce constat, l'état major d'Airbus commença à prendre conscience qu'il faudrait peut-être trouver une alternative ou un remplaçant aux Guppies. C'est pour cela qu'une étude de faisabilité fut entreprise dès juin 1990 pour trouver un remplaçant au Super Guppy, prenant à contre-pied toutes les études en vue de construire un Guppy n°5 voire n°6 ! Construire un avion en prenant une cellule de presque quarante ans d'âge ne ferait tout simplement pas l'affaire : il fallait tout reprendre à zéro. A zéro ? Pas tout à fait : le concept du Guppy avait largement fait ses preuves, et il suffisait d'adapter le concept à une cellule plus moderne pour disposer d'un appareil plus récent.

L'avion de base retenu fut l'A300-600R, rentré en service en mai 1988, version à long rayon d'action de l'A300-600. L'étude de faisabilité se termina en avril 1991, donnant lieu à une note de synthèse dès décembre 1990, et une étude d'industrialisation, approuvée par Airbus : le projet de l'A300-600 Super Transporter pouvait débuter ! Afin de mener le projet à bien, une société sera même crée entre l’Aérospatiale et DASA : la Special Aircraft Transportation International Company (SATIC). Les choses allèrent vite : le premier appareil, surnommé Béluga, fit son premier vol le 13 septembre 1994, et la certification fut accordée en octobre 1995. Quatre autres Beluga seront construits à raison de un par an.

La relève arrive


Les Guppies pouvaient à présent partir en retraite, après plus de 25 années de bons et loyaux services. Le F-BPPA effectua son dernier vol commercial le 15 mars 1996 en atterrissant à Toulouse, il totalisait 14110 heures de vol et 6261 atterrissages. Il ne devait jamais plus quitter Toulouse. Peu de temps après, le 30 avril, le F-BTGV arrivait à Bruningthorpe en Angleterre, après 15060 heures de vol et 6729 atterrissages.

F-GEAI, l'appareil le plus récent de la flotte, fut donné à l'ESA, l'Agence Spatiale Européenne, laquelle le céda immédiatement à la NASA en échange d'un certain nombre d'heures de vol à bord de la station spatiale internationale. Il fut livré à Houston le 23 octobre 1997.

Enfin, F-GDSG quitta Toulouse pour Finkenwerder via Bristol le 24 octobre 1997 afin d'être exposé devant le quartier général de DASA. Il s'agissait du dernier vol d'un Super-Guppy pour le compte d'Airbus.

Ainsi s'achevait l'épopée des Guppies pour Airbus, mais aujourd'hui encore, le F-GEAI a changé d'immatriculation pour devenir le N941NA et il vole encore pour le compte de la NASA.

Repeint et étincelant, l'ex F-GEAI vole encore aujourd'hui !


 


mercredi 14 septembre 2011

L'histoire des Guppies (8)

Huitième partie : Un quatrième Guppy

Le Guppy n°3 fut mis en ligne en juillet 1982. A cette époque le n°4 était déjà en cours d'assemblage au hangar H5 au Bourget.

C'est à cette époque que l'entité "Airbus Skylink" fut créée. Direction collégiale entre Airbus et UTA, elle était destinée à améliorer l'exploitation des Super-Guppy en réduisant les aller-retours de documents entre Toulouse et le Bourget. C'est aussi à cette occasion que les Guppies adopteront une nouvelle livrée, reprenant les couleurs d'Airbus (bandes de couleurs: bleu, rouge, orange et jaune)

La nouvelle livrée des Guppies


Le numéro 4 était en construction. Ce dernier Guppy était réalisé à partir d'un KC-97G, version militaire pour le ravitaillement en vol du Statocruiser. Pourtant, un élément manquait : la section arrière du fuselage, la section 45 (voir "L'histoire des Guppies (7)"). La situation était simple, il n'y avait plus de Stratocruiser disponible ! ASI rechercha une solution auprès des ferrailleurs, mais toutes les sections arrières avaient été ferraillées...la situation était bloquée. C'est alors qu'ASI trouva une solution : il n'y avait plus de Stratocruiser, mais il y avait un Guppy  disponible : le Pregnant Guppy, le tout premier appareil de la série, qui était sur le point d'être ferraillé. La section 45 du Prenant Guppy sera donc récupérée, et expédiée à UTA en France pour l'assemblage du Guppy n°4.

L'assemblage de la partie inférieure débuta en octobre 1981. Le hangar H5 du Bourget accueillit donc deux Super Guppy en construction à cette période ! Pourtant, pour cet appareil, Airbus refusa d'utiliser un Super-Guppy pour aller chercher les sous-ensembles aux États-Unis : les trois Guppies étaient tous occupés pour des transports d'Airbus, et ne pouvaient pas être détournés de leur mission première. Il faudrait donc acheminer les sous-ensembles par voie maritime et routière !

Réalisation pratique, respect du budget, tout était à résoudre. Finalement, deux chargements seront réalisés, chacun dans une caisse de 13 mètres de long par 6 de large par 3 de haut, correspondant au gabarit d'une aile avec ses bâtis moteurs, et une dérive. Les deux caisses sortirent des hangars de Santa Barbara le 12 avril 1982. La première étape consistera à relier la mer pour charger les caisses sur un navire : la distance n'était que de 3km, mais le chemin passait par une réserve naturelle protégée : il faudra négocier l'autorisation de construire une route temporaire, à condition qu'elle soit enlevée juste après, et le site remis en état !

 Les caisses furent chargées sur une barge qui rallia le port de Long Beach à Los Angeles, où les caisses furent transbordées sur un navire, le 'Lafayette' . Au terme de trois semaines, après avoir traversé le canal de Panama, le golf du Mexique et l'Atlantique, le navire atteignit le Havre.

Transbordées sur une péniche, les caisses remontèrent la Seine jusqu'à Gennevilliers...il fallait continuer par la route....7 heures de trajet nocturne, par des voies ne comportant ni pont, ni ligne électrique trop basse etc...autant de difficultés qui rappelaient pourquoi le guppy était aussi indispensable !

Le convoi arriva devant le hangar H5 au petit matin du 14 mai 1982. Pendant ce temps, le Mini-Guppy avait également été mis à contribution, pour acheminer le cockpit ainsi que les surfaces des commandes de vol jusqu'au Bourget. Tout était prêt, l'assemblage pouvait se poursuivre.

L'appareil sortira du hangar le 1er avril 1983, un an jour pour jour après le numéro 3, et comme prévu dans le planning établi en 1979 entre UTA et Airbus ! Le premier vol eut lieu le 21 juin 1983, l'avion étant immatriculé temporairement F-WEAI. L'avion ne refit qu'un seul vol supplémentaire le 23 juin avant de recevoir son certificat de navigabilité, signé le 28 juillet 1983, l'avion totalisant alors 9 heures de vol, et il reçu son immatriculation définitive : F-GEAI.. Alpha India...ou Airbus Industrie !

Le premier vol commercial eut lieu le 2 Août : la flotte était complète !

Suite

lundi 12 septembre 2011

L'histoire des Guppies (7)

Septième partie : la famille s'agrandit

La construction de deux Super-Guppy supplémentaires débute donc en 1980. N'oublions pas que les Stratocruiser allaient sur leur 30 ans d'âge, et que le concept du Guppy avait déjà presque 20 ans !

UTA se mit au travail immédiatement après la signature du contrat, remplissant le hangar H5 du Bourget d'une forêt d'échafaudages et de bâtis en tout genre. La première étape consistait à réaliser la partie inférieure, à partir d'un segment de Stratocruiser. La REVIMA, filiale d'UTA réalisera ainsi une partie importante du fuselage arrière. La partie la plus importante est le tronçon 45 : il s'agit de le section du fuselage portant l'empennage horizontal. Cette section était la plus rare, car on ne la trouvait que sur les Stratocruiser (construits à 56 exemplaires) alors que les versions militaires C-97 et KC-97 (consrtuites à 888 exemplaires, donc disponibles beaucoup plus facilement) possédaient une section modifiée avec des portes cargo pour les C-97 et une perche de ravitaillement en vol pour les KC-97, qui ne pouvait pas s'adapter au Super-Guppy. UTA ayant acheté un Statocruiser en prévision de construire un Super-Guppy, cette section 45 était devenue introuvable au moment de l'utiliser pour le Guppy n°3.

Section 45 du Stratocruiser (n° 17 et 75)


Pour faire le lien entre UTA et ASI, la société américaine détache Bob Swift au Bourget. En effet, le certificat du Super-Guppy appartient toujours à ASI, de même que la documentation technique afférente, toutes les modifications demandées par UTA doivent être acceptées par ASI, d'où ce besoin de coordination.

La REVIMA termina l'assemblage de la partie inférieure au terme de deux mois et demi de travail. Le convoi quitta l'usine normande du groupe le 20 Août 1980. Le trajet faisait 180 km en ligne droite...mais il faudra en faire presque 500 pour atteindre le Bourget ! L'assemblage des éléments inférieurs commença à l'automne.

Avant d'entamer cette assemblage, il fallait attendre le nez ainsi que le caisson central de voilure fabriqué par ASI. Pour les acheminer rapidement, comment faire ? Avec un Super-Guppy bien sûr ! Le F-BPPA sera donc mis à contribution, après l'avoir équipé d'une centrale inertielle afin de suivre avec précision les routes de navigation le long de l'atlantique.

C'est ainsi que début novembre, le F-BPPA fera son retour aux Etats-Unis, sous les ovations du personnel d'ASI qui l'avait fabriqué 8 ans plus tôt ! La direction d'UTA profita de cette occasion pour rendre la politesse à ASI : le F-BPPA n'était pas venu le ventre vide : il était chargé de nombreuses caisses de bouteilles de vin, ainsi que d'autres présents pour le personnel d'ASI. F-BPPA retournera au Bourget, chargé du nez et du caisson central du futur Guppy n°3.

Super-Guppy transportant Super-Guppy !


L'ensemble inférieur du Guppy sera assemblé et complété au printemps 1981, avant de passer à l'assemblage de la soute. Le F-BPPA retournera deux fois aux Etats-Unis en Août 1981, pour aller chercher d'abord l'aile gauche et le plan fixe horizontal, avant de revenir chercher la deuxième aile et la gouverne verticale.

L'assemblage pouvait se poursuivre, avec les ailes et le montage du train atterrissage. Le nouvel appareil quitta le hangar H5 le 13 février 1982, afin de laisser la place au numéro 4 qui commençait à prendre forme. Remorqué au hangar H4 pour les finitions, il reçut notamment tout son aménagement intérieur ainsi que ses moteurs.

Le "roll out" ou sortie officielle, eut lieu le 1er avril 1982...une bonne date pour un avion avec un nom de poisson ! La première ouverture du nez eut lieu quelques jours plus tard...la longue checklist se déroula sans incident, jusqu'au moment d'ouvrir le nez proprement dit... rien ne bougea. Comme rien ne semblait bloquer l'ouverture, il fut décidé de forcer. Le nez bougea avec un craquement métallique...en examinant la séparation, on s'aperçut qu'un boulon avait été mis pour solidariser les deux parties pendant l'assemblage...et qu'il n'avait pas été retiré, et venait de traverser un cadre fort.....l'avion neuf venait de gagner le droit de retourner au hangar pour être réparé !

Le premier vol eut lieu le 11 juin 1982, sur l'itinéraire Evreux, Nantes, Caen et retour. L'appareil volait à merveille, malgré quelques défauts et réglages qui allaient occuper les équipages et les équipes d'UTA quelques temps. Le principal concernaient les marges de décrochage qui ne correspondaient pas aux valeurs indiquées par les anémomètres...il fallut de nombreux vols pour identifier l'influence de l'entrée d'air du système de climatisation qui avait été modifiée par rapport aux avions 1 et 2...Une fois cette entrée d'air modifiée, tout rentra dans l'ordre, et l'avion fut déclaré bon pour le service, recevant son certificat de navigabilité le 28 juillet 1982 après 46 heures de vol.

Le livret d'aéronef fut ouvert le 30 juillet, l'appareil étant immatriculé F-GDSG....SG pour Sierra-Golf...ou Super-Guppy !

lundi 5 septembre 2011

L'histoire des Guppies (6)

Sixième partie : Comment Airbus confie la construction d'un Boeing à une compagnie aérienne...

En 1977, Airbus entreprit de reprendre contact avec ASI...sans trop d'espoir : vu les difficultés rencontrées par la société lors de la construction des Guppy n°1 et 2, les chances qu'elle ait fait faillite était grande. Contre toute attente, ASI existait toujours : Erich Braun retrouva ses coordonnées dans un annuaire (n'oublions pas que c'était avant l'époque d'internet !)

La société avait beaucoup évolué : elle était devenue une filiale du groupe Unexelled Chemical, et ne faisait plus que du travail de sous traitance...

Félix Kracht invita donc Kirk Irwin, PDG de ASI à une réunion à Toulouse le 15 février 1978. Au cours de cette réunion, Irwin fut informé de l'intention d'Airbus d'acheter un voire deux Super-Guppy supplémentaires...Kirk Irwin répondit que ASI avait changé, devenant société de sous-traitance pour survivre, les Guppies n'ayant jamais eu le succès commercial espéré aux États-Unis. Malgré cette mise en garde, Airbus signa avec ASI une intention d'achat, mais il fallait trouver une solution pour la construction de cet appareil supplémentaire.

Les besoins d'Airbus étaient clairs : l'augmentation des cadences ainsi que les quelques accidents qui avaient eut lieu sur la flotte, rendait le Guppy absolument critique, et si le F-BPPA n'était qu'un avion de réserve au début de sa carrière, il était de plus en plus sollicité. Pour grandir, Airbus avait besoin d'au moins un Super-Guppy supplémentaire. Dans le même temps, cette réunion de 1978 acheva de convaincre Airbus que pour anticiper l'avenir, ce n'est pas un, mais deux appareils supplémentaires qu'il faudrait !

Super-Guppy au petit matin à Toulouse

ASI réfléchit au problème, et mit plusieurs mois avant de proposer une réponse formelle à Airbus. Elle envisagea plusieurs solutions :
- soit la vente à Airbus du Super-Guppy de la NASA (N1038V), appareil qui était loué par ASI à la NASA, et/ou l'achat d'un Super-Guppy Turbine
- soit la vente à Airbus de deux Super-Guppy Turbine

Informé de cette offre d'achat, la NASA refusa de voir partir cet avion qui lui rendait tant de service, et annonça son intention d'achat. La vente fut finalisée en février 1979. En attendant ASI ne pouvait plus proposer cet avion à la vente : il fallait trouver comment construire de nouveaux appareils.

Une solution était d'embaucher, mais ASI savait que ce plan de charge ne serait que temporaire...l'autre solution était la sous-traitance : faire réaliser les avions par une autre société...mais laquelle ? Les partenaires d'Airbus n'avaient ni les connaissances, ni le désir de se lancer dans "un chantier de bricoleur" ! Habitués aux standards de l'aéronautique et à la production en série, ni l'Aérospatiale ni VFW en Allemagne ne souhaitaient se lancer dans le chantier de construction d'un Guppy, encore moins de deux !

Finalement, Airbus se tourna vers une autre société : UTA...Ce choix semblait logique : de par son contrat d'entretien avec Airbus, elle connaissait les Super-Guppies mieux que quiconque excepté ASI ! De plus, le savoir faire d'UTA était connu dans le monde entier : ses chaudronniers avait la réputation d'être les "aristocrates" de la profession, réalisant des merveilles pour réparer le résultats d'une rencontre fortuite entre une aile d'avion et un muret, un escabeau ou tout autre objet. La décision fut prise : UTA réaliserait l'assemblage pour Airbus !

Le schéma industriel devenait plus complexe : ASI découperait et préparerait les éléments du Stratocruiser (nez, dérive, ailes) avant de les expédier au Bourget, ou UTA réaliserait pour Airbus l'assemblage final du Guppy : la compagnie aérienne (qui n'avait jamais acheté d'Airbus !) devenait constructeur d'avion (un modèle de chez Boeing en plus !) pour Airbus : le monde à l'envers en somme !

Côté ASI, l'agrément de licence fut signé le 17 décembre 1979. Par suite de ce contrat, ASI restait propriétaire du certificat type du Super-Guppy, concédant à Airbus la licence de construction pour deux avions, avant le 31 décembre 1986 au plus tard. La transaction étant réalisée pour un montant de 2,5 millions de dollars !

Cela semble complexe, mais UTA n'ayant pas la licence de constructeur d'avion mais le savoir faire, devait travailler pour Airbus qui possédait la licence de constructeur d'avion, mais pas le savoir-faire ! Airbus s'occupa du problème de licence et de certification auprès des autorités françaises, ASI lui fournissant tous les justificatifs nécessaires, pendant que UTA réaliserait les avions avec les pièces acheminées des Etats-Unis !

C'est ainsi que pas moins de trois contrats importants furent signés le 15 avril 1980 :
- le premier entre UTA et Airbus, pour la modification du contrat d'entretien, désormais étendu à quatre Guppy
- le second, toujours entre UTA et Airbus, pour la livraison des Guppy n°3 et 4
- le troisième entre UTA et ASI pour la sous-traitance des pièces de Stratocruiser.

ASI devenait ainsi sous-traitant de deuxième niveau pour Airbus, tout en restant propriétaire du certificat de l'avion réalisé par le sous traitant de premier niveau qu'était UTA pour le constructeur Airbus qui ne construisait rien dans cette histoire....Nous l'avons compris : c'est compliqué, mais l'essentiel était là : l'avenir de la production d'Airbus était assurée pour les années 80 !


Un appareil devenu indispensable, dont l'assemblage tenait du bricolage

dimanche 4 septembre 2011

L'histoire des Guppies (5)

Cinquième partie : l'arrivée d'un frère jumeau : F-BPPA (1968-1973)

Mais revenons un peu en arrière en Août 1968, à l'époque où avait commencé la construction de celui qui allait devenir F-BTGV . ASI, voyant que ce premier exemplaire allait partir en Europe, décida d'entreprendre sans tarder la construction d'un deuxième exemplaire, avec l'intention de le vendre à l'industrie américaine. La construction commença en septembre 1969, une fois le premier appareil ayant quitté l'unique hangar de production...Pourtant la construction n'avança que très lentement, l'appareil n'étant terminé qu'en mai 1972, avec l'immatriculation N212AS.

N212AS aux couleurs d'ASI

Pour mieux comprendre les raisons de cette longue gestation, il ne faut pas oublier que, même si je l'ai traité de manière séparée, les années 1968 à 1971 virent la construction des deux Super-guppy turbine et du Mini-guppy turbine de manière quasi simultanée ! D'où la lenteur de la construction du second Guppy, face à la certification des deux autres appareils, tâche qui mobilisa une bonne partie des maigres ressources disponibles.

Pour ce nouvel appareil, ce n'est pas un mais deux Boeing KC-97 qui vont être découpés ! Le S/N 53-163 (totalisant 4521h de vol) donnera son nez, sa section arrière et sa dérive horizontale, alors que le S/N 53-121 (avec un total de 4230h de vol) donnera ses ailes et son empennage vertical. Comme son grand frère, on lui montera quatre turbines Allison 501D22C.

Le N212AS fit son premier vol le 24 Août 1972 (deux ans jour pour jour après son grand frère), avant d'entamer une "tournée" aux États-Unis en vue de promouvoir l'avion auprès des industriels. Malgré un programme de vol très chargé, incluant des transports de fuselage de Boeing 707 ou un transport de réacteur pour General Electric, sans parler des transports d'hélicoptères, les clients potentiels ne se bousculaient pas au portillon d'ASI...

Hélas, malgré une politique commerciale très offensive, l'avion ne trouvait pas acquéreur, et il s'ennuyait sur le parking d'ASI à Santa-Barbara...jusqu'à ce que Airbus s'y intéresse !

En effet, après un an d'exploitation du F-BTGV, Airbus avait réalisé deux choses : a) l'avion était indispensable pour l'assemblage de l'Airbus b) la devise favorite des équipes d'entretien était devenu "à chaque moment suffit sa panne"...il ne faut pas oublier que la conception des systèmes du Super-Guppy remontait au B-29 et donc aux années de guerre, l'avion n'était pas aux normes des appareils plus modernes, dont la caractéristique était justement la fiabilité ! Il apparut donc clairement aux décideurs d'Airbus que, même si l'avion ne volait pas tous les jours compte tenu du faible rythme des cadences, s' il lui arrivait quelque chose, toute la chaîne de montage s'arrêterait nette, faute de pièces !

C'est ainsi que,dès 1972, des négociations furent entreprises afin d'acheter le 2ème avion...Une visite d'une délégation d'Airbus en février 1973 acheva de décider ASI à vendre l'appareil. La visite s'inscrivait toutefois dans le cadre d'une réflexion à plus long terme : les discussions portèrent également sur ce qu'il fallait faire pour assurer la possibilité de construire un 3ème avion si besoin, ainsi que d'assurer la maintenance même si ASI venait à disparaitre.

F-BPPA aux couleurs d'Airbus

La vente fut signée et l'équipage de l'Aéromaritime vint prendre l'avion en compte le 31 juillet 1973. Ils arrivèrent à Paris le 8 Août, l'appareil changeant d'immatriculation pour devenir Foxtrot-Bravo Papa Papa Alpha ou F-BPPA. Le livret d'aéronef sera ouvert le 21 Août, l'avion totalisait alors 276 heures de vol. Basé à Toulouse, comme le N°1, il pouvait à présent effectuer des vols commerciaux pour Airbus.

Airbus possédait donc ainsi son deuxième Guppy, bien que celui-ci n'était pas indispensable, étant donné la faible cadence de production de l'A300, cependant les décideurs d'Airbus voyaient loin, et croyaient à une augmentation des cadences dans les années 70 et 80...l'avenir leur donnera raison...


F-BTGV chargeant un tronçon avant d'A300

vendredi 2 septembre 2011

L'histoire des Guppies (4)

Quatrième partie : Un Guppy chez Airbus (1968-1971)

Nous l'avons vu dans la troisième partie de ce récit : dès 1965, des contacts avaient été établis entre ASI d'une part et Sud-aviation de l'autre. Après le salon du Bourget de 1967, Jack Conroy emmena le Mini-guppy jusqu'à Toulouse pour rencontrer les responsables de Sud-aviation.

Côté français, on notera le travail de Pierre Jorelle, à l'époque président de la compagnie générale d'aéronautique. C'est lui qui contactera ASI en 1965, à la demande du CNES, pour demander plus d'informations sur le Super-Guppy de la NASA, et ses contacts seront utilisés par Sud-aviation pour les négociations avec Aero Spacelines Industries.

En 1968, les négociations s'orientaient vers la vente d'un Super-Guppy à Sud-aviation pour le programme Concorde. Si Sud-aviation avait besoin d'un Super-Guppy, elle souhaitait y apporter des modifications, notamment au niveau de la largeur du plancher, qui ne permettait pas de charger le caisson central du Concorde. Adapter l'élargissement du plancher réalisé pour le Mini-guppy permettait de résoudre ce problème. Le choix d'une nouvelle motorisation, avec des turbines Allison, comme sur le Mini-guppy Turbine, donna naissance à un nouvel avion : le Super-Guppy Turbine 201 ou SGT. Il bénéficia également d'un système d'ouverture à l'avant, organisé autour d'une unique charnière montée sur une rotule.

Profil du SGT201

L'autre aspect du dossier était le problème concernant l'exploitation et la maintenance de l'appareil, étant donné que ASI n'avait pas vocation à devenir compagnie aérienne et ne pouvait pas assurer l'exploitation pour Sud-aviation. Différentes compagnies furent retenues, et finalement Sud-aviation finit par retenir le dossier de l'Aéromaritime, société dépendant du groupe UTA et basée au Bourget.

La construction de ce nouvel avion commença dès Août 1968, après les inévitables réunions avec la FAA en vue de certifier l'appareil. Comme pour les autres appareils, la construction commença par le dépeçage d'un KC-97, version militaire du Stratocruiser. Afin d'assurer le meilleur potentiel, tous les éléments de structure furent inspectés à l'aide de moyens non destructifs (courant de Foucault, rayons X etc....)

1969, le Super-Guppy avance, alors que les choses évoluent beaucoup en Europe...

Tout d'abord, c'est la naissance d'Airbus, avec le programme A300 qui prend forme, ce qui rend l'arrivée du Guppy encore plus critique...En effet, la répartition industrielle de l'A300 est morcelée : tronçons en France et Allemagne, ailes en Angleterre, dérive en Espagne...et le transport de ces tronçons jusqu'à Toulouse pour l'assemblage final ne manque pas de poser problème. Le transport fluvial et routier est envisagé, mais devant la difficulté d'acheminer les éléments du prototype de l'A300B1 jusqu'à Toulouse, la solution aérienne apparait comme la seule solution viable.

C'est dans ce cadre que Félix Kracht, futur patron de la production industrielle Airbus, se rendit en Californie en 1969 afin de voir la production du Guppy et d'envisager son utilisation par Airbus. Ce voyage était aussi l'occasion de constater les retards de production...retards dûs à des manques de liquidités du côté d'ASI...éternel problème de cette société...Airbus devra aider ASI pour assurer la livraison du Guppy sans trop de délai.

Ce nouveau Super-Guppy fit son premier vol le 24 Août 1970, avant de partir à Edwards pour commencer ses essais en vol. Le principal problème concernait le décrochage : en raison de la taille du fuselage, la dérive horizontale devenait inefficace à forte incidence : en cas de décrochage, même avec les moteurs à la puissance décollage, l'avion restait assis "sur les fesses"...loin d'être rassurant comme comportement ! La seule solution consistera à mettre une alarme de décrochage (voyant plus klaxon) s'activant à une vitesse légèrement supérieure à la vraie vitesse de décrochage.

Les premiers tests du nouveau système eurent lieu en septembre 1970, et ne furent pas concluants : le système ne marchait pas ! Il faudra encore de nombreux essais pour le mettre au point, le certificat type n'étant signé qu'un an plus tard, le 26 Août 1971. Dans le même temps chez Airbus, l'exploitation et la maintenance était confiés à UTA, l'exploitation étant confiée à l'Aéromaritime en particulier.

F-BTGV, dans ses couleurs d'origine

Après de longues tractations administratives, l'appareil reçu son immatriculation française le 14 septembre 1971, le N211AS devenant officiellement F-BTGV, les équipages de l'Aéromaritime pouvant enfin prendre l'appareil en   main ! Le convoyage eut lieu fin septembre, l'appareil arrivant à Paris le 28 septembre, après 23h de vol et de nombreuses escales. L'appareil transportant des caisses d'outillages...et quelques caisses de bouteilles de vin, cadeau d'ASI à UTA ! Il effectua son premier vol commercial le 2 novembre, le concept du Guppy se concrétisait enfin en Europe.